Tréornou : du réservoir au Stade Nautique
Ce réservoir d’eau, perdu dans les landes de Lambézellec, alimenté par l’étang de Kerléguer, fut aménagé par les troupes américaines, lors du premier conflit mondial ; par gravitation, il servit au ravitaillement en eau des navires du Port de Commerce. Les troupes américaines reparties, la Chambre de Commerce en hérita, bétonnant cette cuve, cette ensemble constituait un bassin de 25 mètres de long au milieu des landes et des champs.
La natation et le Club Nautique Brestois (CNB), après 16 ans d’errance, trouvait là un lieu d’asile qu’il fallut aménager. Au prix d’un labeur remarquable (6 000 heures de travail), aidé par la municipalité, la Chambre de Commerce et quelques entreprises locales, les « troupes » du CNB commencent les premiers aménagements de ce qui allait devenir le futur « Stade Nautique ». Le fond de la cuve est carrelée, 5 gradins en béton et 2 de bois sont montés, offrant ainsi près de 1500 places au public, 2 plongeoirs et un dispositif de traitement de l’eau sont installés. Le bois récupéré sur le vélodrome de Kérabécam sert à la construction des plongeoirs, de 2 gradins et d’une baraque vestiaire. Une baraque de bois tenant lieu de buvette vient compléter l’ensemble des installations. L’environnement immédiat -les taillis et les landes sont arrachés pour laisser place à divers plantations, notamment des pins et sapins-, constituera 30 à 40 ans plus tard un formidable terrain d’aventure pour de nombreux enfants.
Peu à peu, un formidable théâtre de verdure s’édifie, plus qu’une simple piscine, le CNB avait bâti là les fondations d’un lieu unique de loisirs, de détente pour une large part de la population brestoise peu encline aux escapades estivales, souvent plus par manque de moyens que par choix personnel. Cette dimension « populaire », « sociale » ou « citoyenne » comme on le dirait aujourd’hui était et demeura longtemps une des vocations affichées du CNB, bien avant qu’on ne parle de « politique de la Ville », de « Quartiers difficiles » etc. Les principaux aménagements terminés, Tréornou ouvre officiellement ses portes en 1937.
Brest et sa population, dispose désormais d’un véritable bassin, les nageurs brestois ne tarderont pas dès lors à réduire la distance « sportive » qui pouvait les séparer jusque là de leurs principaux rivaux, les clubs rennais notamment (surtout le Cercle Paul Bert) qui disposaient d’une piscine couverte depuis 1926. La suprématie régionale devient brestoise. Les années 1940 et la seconde guerre mondiale, qui n’épargnera pas, loin s’en faut, la cité du ponant viendra briser cette irrésistible ascension. Ces années noires semblent sonner le glas de la natation, qui se met en sommeil au CNB, et c’est au basket-ball notamment qu’on doit au CNB de ne pas disparaître complètement du paysage sportif brestois.
Au lendemain de la Libération, les destructions sont partout présentes, les institutions brestoises, municipalité, Chambre de Commerce, s’emploient à reconstruire. Dès 1946, la Chambre de Commerce ne voit plus d’utilité à conserver les installations de Kerléguer ; l’ensemble, dont le bassin de Tréornou est cédé à la ville, le CNB en demeure l’occupant mais ne peut à lui seul entreprendre les travaux de reconstruction et d’aménagement nécessaires à l’édification d’un véritable stade nautique, édification brutalement stoppée par l’Occupation.
Cette édification trouve de nouveau un écho favorable dans la population et auprès de certains pouvoirs publics dont l’Éducation Nationale. D’une nécessité sportive, de loisirs, la piscine devient « une nécessité d’utilité publique ». Ce mouvement du pouvoir central incitant les villes à investir dans la création d’enceinte sportive et socio-éducative avait été initiée avec le Front Populaire et l’œuvre de Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État chargé des sports et des loisirs dans le gouvernement Blum ; il sera sans conteste le premier initiateur d’une véritable politique du sport comme pratique de masse. Il lancera notamment un vaste programme d’équipements sportifs (stades, gymnases) dont beaucoup portent encore aujourd’hui son nom.
A Brest, cela se traduit par l’inscription de l’édification d’une piscine dans les projets issus du Plan de reconstruction et d’équipement de la ville. Néanmoins, l’urgence commande d’aménager, de transformer les équipements sportifs existant plutôt que de lancer de véritables projets de construction. Plusieurs idées voient le jour, on reparle d’aménager la plage de Saint-Marc (bassin en eau de mer), on évoque la transformation d’un bassin laissé par les troupes allemandes près de la maternité de Saint-Marc, on ira jusqu’à envisager l’idée d’un bassin couvert dans l’ancienne enceinte des équipages de la Flotte. Faute de moyens, presque tous ces projets sont abandonnés. Deux projets sont malgré tout retenus, financés par les indemnités de dommage de guerre et par les prêts consentis par l’État au titre de l’aménagement et la construction de complexes sportifs.
Le premier de ces projets est la salle Cerdan. Le montant des dépenses estimé est de l’ordre de 45 millions de francs. La salle sera inaugurée le 27 mai 1950 par une rencontre de basket entre Brest et Nantes ; la salle d’alors est constituée par un hangar d’aviation acheté à Tours et remonté sur le plateau de Kéroriou. Le deuxième de ces projets est la reprise des travaux à Tréornou, depuis 1946, le CNB avait opéré quelques transformations mais dès 1949, devant l’ampleur des travaux, la municipalité prend le relais, la dépense est estimée à 18 millions de francs, le CNB cède pour sa part ses dommages de guerre (3 millions de francs). De 1949 à 1951, de véritables travaux de transformations sont réalisés, les vestiaires sont agrandis, des courts de tennis sont aménagés, un système moderne de traitement des eaux est installé. Par les effets conjugués d’un CNB opiniâtre et d’une municipalité volontaire, le bassin se transforme peu à peu en un véritable stade nautique. 30 ans après la création du club, le stade est officieusement inauguré en 1950, l’ensemble réalisé est salué par nombres d’autorités de l’époque, la Fédération nationale, en premier lieu, qui dépêche son président en personne pour la commémoration du 30ème anniversaire du club, ce déplacement souligne la reconnaissance officielle de Brest comme l’une des places majeures de la natation pour l’ouest français. A tel point, que cette même Fédération donnera l’année suivante (1951) à Brest l’organisation du match France-Angleterre, compétition fameuse qui fera venir à Brest l’élite de la natation nationale.
L’avènement du Stade Nautique marque une première étape de l’histoire de la natation à Brest ; il reste le seul bassin brestois jusqu’en 1966 et l’inauguration de la piscine Foch. Tréornou enregistre très vite un vif succès, les activités progressent, en 1954, par convention, le CNB devient gestionnaire du Stade. Au-delà d’une simple enceinte sportive, Tréornou devient l’un des seuls outils de développement du sport et du loisir mis à la disposition de la population brestoise, le public ne tarde pas à s’approprier ce lieu.
Le premier de ces publics est le public des jeunes et des scolaires qui sera, dès l’ouverture, un des publics privilégiés : il est le seul public directement visé par la convention liant la ville au CNB pour la gestion du stade. L’article 6 de cette convention prévoit la gratuité d’entrée et de formation à la natation élémentaire pour tous les groupements scolaires publics ou privés de la ville, l’entrée à demi-tarif pour les colonies, patronages ou groupes de vacances. L’un des premiers principes fondateurs du CNB peut enfin voir le jour : « Éduquer la masse pour perfectionner l’élite ».
De 1950 à 1966-1967, le CNB et le Stade Nautique ne failliront pas dans cette tâche « éducative », en recevant nombres de jeunes brestois; la moyenne d’entrée des scolaires et autres jeunes publics (colonies, etc.) sera de l’ordre de 10 000 entrées par saisons ; parmi ce public, c’est 700 à 800 jeunes qui apprendront à nager. Certaines fortes saisons, ou le soleil se montra moins réservé, c’est 14 à 15 000 jeunes qui fréquenteront les lignes d’eau de Tréornou. A ce public nombreux, il importe d’ajouter la masse importante des familles et personnes individuelles qui après une journée de travail ou pendant les vacances venaient goûter là aux joies de la baignade. L’offre existant, la demande ne cessera d’augmenter ; aux nageurs du club viennent s’ajouter de plus en plus de nageurs « occasionnels ». Des sections de natation-loisir commencent à faire leurs apparitions dans les comités d’entreprises et autres associations. Très vite, victimes de leur succès, les bassins de Tréornou atteignent leurs limites. L’espace unique ainsi constitué ne peut répondre à terme à la nécessité de la natation sportive et aux attentes légitimes de la population, la construction d’un autre bassin vient vite à l’ordre du jour.